Le nom de Pierre de Terrail évoque aujourd’hui non seulement l’homme, le seigneur de Bayard, mais encore le mythe, le chevalier sans peur et sans reproche. Dès sa disparition le 30 avril 1524 dans les plaines du Nord de l’Italie, son destin a échappé à l’histoire pour rejoindre la mémoire. Celle d’une noblesse assoiffée de héros et de modèles, d’un État en quête de serviteur docile, puis de toute une nation. Pourtant de nombreux épisodes de sa vie demeurent mal connus, voir débattus, comme ces rapports avec le connétable de Bourbon, notamment après qu’il ait rejoint le parti de l’Empereur, ou l’adoubement de François Ier au soir de la bataille de Marignan.
Nous ne connaissons ainsi pas avec certitude l’année et encore moins la date de naissance de Bayard. Claude Expilly, un érudit dauphinois qui rédige une biographie du chevalier un siècle après sa mort et qui affirme avoir eu accès aux papiers de la famille, le fait naitre en 1469. Mais, Pierre Terrail, second des quatre fils d’Aymon Terrail, nait plus probablement entre 1473 et 1476. Il est issu de cette noblesse provinciale dont le pouvoir repose à la fois sur des origines anciennes, certainement au moins le XIVe siècle, et une ascendance guerrière au service du roi de France. La tradition fait, en effet, mourir chacun de ses aïeux dans une grande bataille de la guerre de Cent Ans : « car a la journee de Poictiers le terayeul du bon chevalier sans paour et sans reprouche mourut aux piedz du roy de France Jehan. A la journee de Crecy son bysayeul. A la journee de Montlehery demoura sur le champ son ayeul avecques six playes mortelles sans les autres. Et à la journee de Guinesgaste fut son pere si fort blesse que oncques puis ne peut gueres partir sa maison ou il mourut aage de bien quatre vingtz ans. » Prestigieuse lignée de guerriers morts au champ d’honneur, mais dont la chronologie laisse perplexe… La lignée paternelle sort de l’ombre, en effet, au cours du XIVe siècle, probablement issu de la paysannerie agrégée à la noblesse. Quoi qu’il en soit son père s’était engagé aux côtés de Charles VII dans le conflit qui l’oppose au Dauphin Louis, puis aux côtés de Louis XI dans la guerre du Bien Publique et contre Maximilien après la mort du Téméraire. Sa mère Hélène Alleman est issue d’une des plus puissantes familles du Dauphiné qui a déjà donné un cardinal et plusieurs évêques, dont l’oncle de Bayard, Laurent Alleman, devenu évêque de Grenoble en 1483. Le jeune Pierre passe sa jeunesse dans le château familiale près de Pontcharra où il connaît probablement une éducation nobiliaire traditionnelle. Jusqu’à l’âge de sept ans il est élevé par les femmes qui lui enseignent la religion, le savoir vivre, les histoires des ancêtres valeureux et les rudiments de la lecture. Puis, il passe aux mains des hommes, apprend l’équitation et le maniement des armes. Les jeux violents remplacent alors la douceur des étreintes maternelles. Lorsqu’il atteint l’âge de onze ou douze ans, son père réunit ses parents et amis pour décider de l’avenir de Pierre. La décision est importante car elle engage non seulement la famille biologique, mais aussi la familia, ses clients et amis. Il s’agit d’envoyer Pierre finir son éducation guerrière auprès d’un grand, dont le choix sera déterminant pour l’avenir du jeune gentilhomme, de la famille et de ses proches. Après avoir écarté le roi de France ou la maison de Bourbon, probablement trop lointains et trop puissants pour l’accueillir, il est confié par son oncle, à Charles de Savoie.
En 1490, il quitte le service de cette maison pour rejoindre celle de Louis de Luxembourg, comte de Ligny. Il y achève sa formation et y est mis hors de page en 1493 avant de rejoindre la compagnie d’ordonnance de son nouveau protecteur. C’est là qu’il rencontre Louis d’Ars, son modèle guerrier et l’un de ses plus fidèles amis. Leur amitié grandit dans le feu et dans le sang des guerres d’Italie et de la première campagne de Charles VIII qui entend faire valoir les droits angevins sur le royaume de Naples. Il lui fallut pourtant attendre la seconde campagne napolitaine (1501-1504), la rupture du traité de Grenade en 1502, qui initie le conflit entre Habsbourg et Valois, et l’année 1503 pour se distinguer clairement de ses compagnons et obtenir la reconnaissance de ses pairs. C’est en effet alors, qu’il émerge dans les chroniques françaises, italiennes et espagnoles.
Cette année, est d’abord celle de son duel avec Alonzo de Sotomayor. Celui-ci avait été capturé par Bayard lors d’une escarmouche dans la campagne de Minervo. Traité d’abord selon les règles de la bonne guerre, il est enfermé dans une cellule après avoir tenté de s’évader. Une fois sa rançon payée, le capitaine espagnol se plaint publiquement du traitement reçu durant sa captivité. Ne supportant pas de voir son honneur mis en cause, Bayard l’assigne en duel. Le 1er février 1503, le camp est monté, les parrains choisis et après de longues minutes de lutte à l’estoc, Bayard « avisant son coup, lui rua soudainement, de toute sa force, contre le visage, le poignard qu’il tenoit à la main senestre, et entre l’œil senestre et le bout du nez lui mit jusques à la poignée, tant que dedans le cerveau lui entra. » Sa notoriété lui vient aussi de ce duel à treize contre treize à cheval, mené le mois suivant à l’occasion d’une trêve sous les murs de Trani. Bayard et son compagnon, François d’Urfé, soutiennent alors les assauts des Espagnols jusqu’à la nuit après que leurs compagnons aient perdus leur monture. Il fut finalement décidé que la journée n’aurait pas de vainqueur. Peu après, la guerre tourne au désavantage du roi de France et en décembre, les troupes françaises et espagnoles se font face de part et d’autre du Garigliano. Lorsque que débute la retraite de l’armée française, Bayard à l’arrière-garde défend avec quelques compagnons le passage d’un pont de bateaux jeté sur le fleuve face aux troupes de Gonzalve de Cordoue et au cri de « France/ France/ Bayard/ Bayard»
La carrière du bon capitaine suit alors son cours au rythme des allés et retours dans la péninsule italienne. Il prend part à la répression des Génois menée en 1507 par l’armée de Louis XII. Il s’illustre à la bataille d’Agnadel (14 mai 1509) à la tête de la compagnie de vingt-cinq hommes d’armes que le roi vient de lui confier. Il participe à la défense du duché contre la Sainte-Ligue, avant de prendre part à la victoire de Ravenne puis à la défaite de Novare (1512). L’année suivante, il est fait prisonnier à la bataille de Guinegatte contre les Anglais à laquelle il participe dans la compagnie du duc de Lorraine. Louis XII aurait lui-même payée sa rançon, fixée par Maximilien à 1000 écus.
Lorsque la guerre reprend avec l’avènement du nouveau roi, François Ier, Bayard fait partie de l’expédition. Il est alors âgé d’une quarantaine d’années. Quelques mois plus tôt, le 20 janvier 1515, il avait été honoré de la charge de lieutenant général du Dauphiné, signe de confiance et de considération du jeune souverain qui n’ignore rien de ses qualités. Au début du mois d’août, Bayard, lieutenant de la compagnie du duc de Lorraine, passe les monts avec l’avant-garde sous les ordres du connétable de Bourbon. Suivi de près par le reste de l’armée, il pénètre dans le Milanais où cantonnent 15 000 suisses sous les ordres de la Sainte-Ligue. Les 30 000 hommes de l’armée du roi de France prennent ensuite la route de Novare à la poursuite des ennemis qui reculent sans combattre. Les négociations vont bon train, lorsque, le 10 septembre, François Ier installe son camp à Melegnano. Mais le cardinal de Sion, Matthias Schiner, exhorte les Suisses à ne pas ratifier l’accord proposé par le roi et le 13 septembre au matin, il harangue ses compatriotes qui sortent de la ville et marchent sur l’armée française peu après midi. La bataille s’engage alors. Après avoir été interrompu par la nuit, les combats reprennent au matin. L’échec des Suisses pour prendre l’artillerie de Galliot de Genouillac et l’arrivée des vénitiens apportent la victoire à François Ier.
Quelques moments après la bataille se joue un des plus célèbre passage de la vie du chevalier mais aussi un des plus discutés. François Ier couvert de l’honneur de la victoire et désireux de récompenser quelques gentilshommes qui se sont illustrés voulu les faire chevalier. Toutefois, « pour ce qu’il appartient, par l’ordre de chevalerie, au seul chevalier creer et faire ung aultre chevalier », il aurait demandé à Bayard de l’adouber. Il n’est pas le lieu ici de trancher l’épineuse question de la réalité de cet épisode. Les arguments de ses défenseurs et de ses détracteurs comportent des points de force et des faiblesses que le silence des sources et les lacunes de notre documentation ne permettent pas de départager dans l’état actuel de nos connaissances. L’idée d’une invention pour soutenir l’image d’un roi entachée par les défaites militaires et l’humiliation de sa capture est tout à fait plausible. À l’inverse, la pratique d’un adoubement à la sauvette à la fin d’une bataille par une simple accolade est attestée pour d’autres que le roi. De même, l’hypothèse qui considère que l’invention de l’adoubement par Bayard efface le lien symbolique établit entre le roi et Charles de Bourbon lors de son sacre est séduisante. Toutefois, il n’est pas évident que le roi ait alors été fait chevalier par son vassal.