Josquin, Inviolata, Codex Médicis 1518

Les œuvres issues du manuscrit 666 de la Bibliothèque médicéenne, dit Codex Médicis furent rassemblées pour le pape Léon X, second fils de Laurent le Magnifique, qui accéda à la papauté le 11 mars 1513. Pendant les huit années de son pontificat, ponctuées par des fêtes à la prodigalité dispendieuse, Léon X, marqué par son éducation humaniste, fut ami et protecteur des arts et des lettres : commanditaire assidu de Raphaël, protecteur de Pietro Bembo, il était aussi mélomane et musicien, et s’entoura de quelques-uns des plus éminents chanteurs, instrumentistes et compositeurs de son époque. Même si une grande partie de cette musique a aujourd’hui disparu, un riche aperçu de l’univers musical de Léon X vient du Codex Médicis. Cette collection de 53 motets, probablement destinée dans un premier temps à un usage privé, fut offerte à son neveu Laurent II de Médicis (1492-1519), duc d’Urbino, pour son mariage avec Madeleine de la Tour d’Auvergne (1498-1519), célébré le 2 mai 1518 à Amboise. Ces noces princières donnèrent lieu au spectacle grandiose, élaboré par Léonard de Vinci, qui résidait alors au château du Clos-Lucé.

La tabula du manuscrit, organisée en acrostiche, célèbre sans ambiguïté son dédicataire : VIVAT SEMPER INVICTVS LAVRENTIVS MEDICES DVX VRBINI.

Le Codex Médicis est donc à plus d’un titre lié à l’histoire politique de la période. Le motet de Jean Mouton, Exalta regina Galliæ, qui donne son titre au concert, est un hommage personnel à la Reine de France, et son Domine, salvum fac regem au Roi de France. On y trouve des musiciens demeurés fameux : Josquin des Prés (1450 ?-1521, Jean Mouton (1459 ?-1522), le compositeur le plus en vue à la Cour de France au début du XVIe siècle, et son disciple, Adrian Willaert (1490 ?-1562), plus tard maître de chapelle de Saint-Marc (à partir de 1527) et l’un des fondateurs de l’école vénitienne. On rencontre aussi Adrian Johannes de La Fage, dont l’unique trace date de 1516, ou Costanzo Festa (1490 ?-1545), premier Italien dont les œuvres pouvaient se mesurer à celles des Franco-Flamands.

La plupart des textes dans ce recueil sont directement issus de la liturgie ou de la Bible, comme par exemple le psaume 51, auquel Josquin ajoute le motif répétitif du « miserere mei », qu’il traite de manière très ample. L’utilisation du « cantus firmus » (teneure grégorienne) y est majoritaire, et les compositeurs s’imposent parfois même une contrainte supplémentaire, qui consiste à traiter en fugue ce motif issu du plain chant. C’est le cas notamment dans le « Nesciens mater » de Jean Mouton, pièce au contrepoint extraordinairement complexe, où deux chœurs à quatre voix chantent intégralement leur polyphonie en imitation à la quinte (« fuga in diapente »), y compris la ligne de plain chant. Mais l’écriture polyphonique en « cantus firmus » n’est pas réservée aux motets sacrés. Certains des motets profanes, comme la déploration d’Ockeghem de Josquin, écrite sur un poème en français de Moulinet, fait entendre sur la ligne du ténor le motif transposé du « requiem » grégorien.

Compte tenu de la magnificence à laquelle est associée cette collection de motets, soit à Rome à la cour de Léon X, soit à Amboise à celle de François Ier, le parti pris a été de doubler les voix de cette polyphonie complexe par des instruments d’époque  (cornets, bassons, sacqueboute, violes, orgue), comme invite à le faire l’idiome musical de certaines pièces d’apparat (« Mater floreat florescat »), ou le texte même de certains motets (« in cordis et organo »).

Un échantillon des textes de certaines pièces du codex (correspondant à un programme donné par les Sorbonne Scholars, le 24 mars en Sorbonne à l’Amphithéâtre RICHELIEU), donne une idée des thématiques abordées :

Josquin des Prés Inviolata, integra
Antoine Brumel Sicut lilium
Jean Mouton Corde et animo
Jean Mouton Nesciens mater
Adriano Willaert Virgo gloriosa Christi
La Fage Elisabeth Zachariae magnum virum genuit
Chants de pénitence et déplorations  
Josquin des Prés Miserere mei Deus
Anonyme (Italie, 1500)Jean Richafort  Intromezza (instrumental)
Emendemus in melius (soliste : Anne Delafosse)
La Fage Videns dominus civitatem desolatam
Costanzo Festa Deduc me, Domine
Hommages aux musiciens  
Josquin des Prés Nymphes des bois, Déploration sur la mort d’Ockeghem
Pierre Moulu Mater floreat florescat
Hommage à la reine et au roi de France  
Josquin des Prés Vive le roy (instrumental)
Pierre Moulu Fiere atropos
Jean Mouton Domine, salvum fac regem
Jean Mouton Exalta regina Gallie

 

 

Josquin des Prés                    Inviolata, integra    (Séquence en l’honneur de la Vierge Marie)

Inviolata, integra et casta es maria
Que es effecta fulgida coeli porta
O mater alma christi carissima
Suscipe pia Laudum preconia
Nostra ut pura pectora sint et corpora
Que nunc flagitant devota corda et ora
Tua per precata dulcisona
Nobis concedes veniam per secula.
O benigna, O Regina, O Maria que sola inviolata permansisti.
Immaculée, intègre et chaste es-tu, Marie,
Toi qui as été faite porte brillante du ciel,
Ô aimante mère du Christ, très chère,
Reçois mes pieuses prières de louange.
Pour que nos cœurs et nos corps soient purs,
Toi que supplient nos cœurs et nos bouches
Par tes prières au son doux,
Obtiens-nous le pardon pour les siècles.
O bienveillante, ô reine, ô Marie qui, seule, es demeurée sans tache !

 

Antoine Brumel                                 Sicut lilium                           (Cantique des cantiques 2.2)

Sicut lilium inter spinas
Sic amica mea inter filias.
Comme le lys entre les chardons,
telle ma bien-aimée entre les jeunes femmes.

 

Jean Mouton                                   Corde et animo                                               (Bréviaire, III)

Corde et animo christo canamus gloriam
In hac sacra solennitate precelse genitricis dei marie.
Cum Jocunditate nativitatem Beate marie celebremus
ut ipsa pro nobis intercedat Ad dominum Jhesum christum.
De tout notre cœur et de toute notre âme, nous chantons au Christ sa gloire, en cette solennité de la mère de Dieu ;
Célébrons avec éclat, la naissance de la bienheureuse Marie
Afin qu’elle intercède pour nous auprès de notre Seigneur Jésus-Christ.

 

Jean Mouton                                 Nesciens mater                (Antienne de la Nativité, 1er janvier)

Nesciens mater virgo virum peperit sine dolore salvatorem saeculorem ipsum regem angelorum sola virgo lactabat ubere
de coelo pleno.
Sans connaître d’homme, la vierge mère enfanta le sauveur du monde sans douleur ;
La Vierge, seule, allaitait de son sein le roi des anges du ciel entier.

 

 

Adriano Willaert           Virgo gloriosa christi                    (Prière à Sainte Marguerite, 20 Juillet)

Virgo gloriosa christi margareta preciosa virtute
Supernorum clara audi preces nostras coram te fusas
Fac nos jungi eternali choro
precibus ergo tuis adesto calamitatibus nostris
Quibus undique premimur, amen.
Marguerite, glorieuse vierge du Christ, précieuse en vertu,
d’en-haut entends nos prières exprimées devant toi.
Joins-nous au chœur éternel ;
sois ainsi par tes prières présente à nos malheurs qui nous oppressent de toutes parts. Amen.

 

 

La Fage                                   Elizabeth Zacharie                   (Nativité de Jean Baptiste, 24 juin)

Elizabeth Zacharie magnum virum genuit
Johannem baptistam precursorum domini
Fuit homo missus a Deo
Cui nomen erat Johannes ut testimonium perhiberet de lumine
Sancte Johnnes ora pro nobis.
Elisabeth engendra de Zacharie un grand homme,
Jean le Baptiste, Précurseur du Seigneur.
Un homme fut envoyé par Dieu,
dont le nom était Jean, pour qu’il témoigne de la lumière.
Saint Jean, prie pour nous.
Inter natos mulierum non surrexit maior Johannes baptista
Qui viam domino preparavit in heremo
Johannes est nomen eius vinum et siceram non bibet
et in nativitate eius multi gaudebunt.
Sancte Johnnes ora pro nobis.
Parmi les hommes nés de femmes, il n’y en eut pas de plus grand que Jean le Baptiste
Qui prépara dans le désert le chemin du Seigneur
Son nom est Jean ; il ne boira ni vin ni boisson forte,
et beaucoup se réjouiront de sa naissance ;
Saint Jean, prie pour nous.

 

 

Josquin des Prés           Miserere mei Deus                  ( Psaume 51 ; traduction, Bible de Jérusalem)

Miserere mei Deus secundum magnam misericordiam tuam,
Et secundum multitudinem miserationum tuarum dele iniquitatem meam.
Amplius lava me ab iniquitate mea
Et a peccato meo munda me
Quoniam iniquitatem meam ego cognosco et peccatum meum contra me est semper.
Tibi solu peccavi et malum coram te feci ut justificeris in sermonibus tuis et vincas cum judicaris
Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum et in peccatis
conceptus sum mater mea
Ecce enim veritatem dilexisti incerta et oculta sapientie tue manifestasti mihi
Asperges me domine hysopo et mundabor lavabis me et super nivem dealbabor miserere mei deus.
Prends pitié de moi, Dieu, en ta bonté,
Et en ta grande tendresse détruis mon péché,
lave-moi tout entier de mon mal et de ma faute purifie-moi.
Car mon péché, moi, je le connais, ma faute est devant moi sans relâche ;
contre toi seul, j’ai péché, ce qui est coupable à tes yeux, je l’ai fait.
Pour que tu montres ta justice quand tu parles et que paraisse ta victoire quand tu jugeras.
Vois : mauvais je suis né, pécheur ma mère m’a conçu.
Mais tu aimes la vérité au fond de l’être, dans le secret tu m’enseignes la sagesse.
Ôte mes taches avec l’hysope, je serai pur ; lave-moi, je serai blanc plus que neige.
Audi auditui meo dabis gaudium et leticiam et exultabunt ossa humiliata
Averte faciem tuam a peccatis meis et omnes iniquitates meas dele
Cor mundum crea in me deus et spiritum rectum innova in visceribus meis
Ne proicias me a facie tua et spiritum sanctum tuum ne auferas a me
Redde mihi leticiam salutaris tui et spiritu principali confirma me
Docebo iniquos vias tuas etimpii ad te convertentur
Libera me de sanguinibus deus salutis mee et exultabit lingua
mea justitiam tuam
Rends-moi le son de la joie et de la fête et ils se réjouiront, les os que tu broyas !
Détourne ta face de mes fautes, et tout mon mal, efface-le.
Dieu, crée pour moi un cœur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme ;
ne me repousse pas loin de ta face, ne m’enlève pas ton esprit saint.
Rends-moi la joie de ton salut, assure en moi un esprit magnanime.
Aux pécheurs j’enseignerai tes voies, à toi se rendront les égarés.
Affranchis-moi du sang, Dieu, Dieu de mon salut, et ma langue acclamera ta justice ;
Domine labia mea aperies et os meum anunciabit laudem tuam
quoniam si voluisses sacrificium dedissem utique olocaustis non delectaberis
Sacrificium deo spiritus contribulatus cor contritum et humiliatum deus non despicie
Benigne fac domine in bona voluntate tua Syon
Et edificentur muri Jerusalem
Tunc acceptabis sacrificium Justitie oblationes et olocausta
Tunc imponent super altare tuum vitulos.
Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange.
Car tu ne prends aucun plaisir au sacrifice ; un holocauste, tu n’aimes pas.
Le sacrifice à Dieu, c’est un esprit brisé ; d’un cœur brisé, broyé, Dieu, tu n’as point de mépris.
En ton bon vouloir, fais du bien à Sion et que soient rebâtis les remparts de Jérusalem !
Alors tu accepteras oblations et holocaustes en sacrifices de justice, alors on offrira de jeunes taureaux sur ton autel.
Jean Richafort                          Emendemus in melius                        (Répons du mercredi des Cendres, 14 février)

Emendemus in melius
Quae ignoranter peccavimus
Ne subito preoccupati die mortis queramus spacium penitentie et invenire non possimus
Attende domine et miserere quia peccavimus tibi
Purifions-nous des fautes
Que nous avons commises dans l’ignorance
Pour éviter que, happés soudainement par la mort, nous cherchions un peu de temps pour une pénitence sans pouvoir l’obtenir ;
Écoute, Seigneur, et aie pitié, car nous avons péché contre toi.
Peccavimus cum patribus nostris
Injuste egimus
Iniquitatem fecimus
Attende domine et miserere quia peccavimus tibi
Nous avons péché avec nos pères,
nous avons agi injustement et commis l’iniquité.
Écoute, Seigneur, aie pitié, car nous avons péché contre toi.

 

 

La Fage                                Videns dominus                                       (pas de source liturgique)

Videns dominus
Civitatem desolatem turbato corde
Flevit amare dicens
O bone Jhesu, o bone Jhesu.
Avertatur obsecro furor tuus a populo tuo et dic angelo
percutienti
Cesset iam manus tua.
Ne pereant sperantes in te in eternum
Le maître, le cœur bouleversé en voyant la ville désolée, pleura amèrement et dit :
Ô bon Jésus, ô bon Jésus,
Je t’en conjure, que ta colère se détourne de ton peuple, et dis à l’ange chargé de la vengeance :
« Maintenant retiens ta main ».
Que ceux qui espèrent en toi ne périssent pas dans l’éternité.

 

Note : le texte est proche d’un Répons tiré de I Chroniques 21: 15.

 

Constantius Festa                     Deduc me domine               (Psaume 119, 33-48)

Deduc me domine
Legem pone mihi domine viam justificationum tuarum
et exquiram eam semper da mihi intellectum
Et scrutabor legem tuam et custodiam illam in toto corde meo
deduc me in semitam mandatorum tuorum quia ipsam volui
inclina cor meum, in testimonia tua et non in avaritiam.
Averte oculos meos ne vidiant vanitatem, in via tua vivifica me.
Statue servo tuo secundum eloquium tuum in timore tuo.
Amputa opprobrium meum quod suspicatus sum quia judicia tua joconda
ecce concupivi mandata tua in equitate tua vivifica me
et veniat super me misericordia tua domine salutare tuum secundum eloquium tuum.
Enseigne-moi, Seigneur, la voie de tes volontés, je la veux garder en récompense.
Fais-moi comprendre et que je garde ta loi, que je l’observe de tout cœur.
Guide-moi au chemin de tes commandements, car je l’ai voulu.
Infléchis mon cœur vers ton témoignage, et non point vers le gain.
Détourne mes yeux des images vaines, vivifie-moi dans ton chemin.
Tiens ta promesse à ton serviteur, afin qu’on te craigne.
Libère-moi de l’opprobre que je redoute, car tes jugements sont bons.
Voici, j’ai désiré tes préceptes, fais-moi vivre dans ta justice.
Que me vienne ta miséricorde, Seigneur, ton salut selon ta promesse!
Et respondebo exprobrantibus mihi verbum
Quia speravi in sermonibus tuis
Et ne auferas de ore meo verbum veritatis usquequaque
quia in judiciis tuis supersperavi
Et custodiam legem tuam semper in seculum et in seculi et ambulabam in latitudine quia mandata tua  exquisivi
Et loquebar de testimoniis tuis in conspectu regum et non confundebar et meditabar in mandatis tuis que dilexi
Et levavi manus meas ad mandata tua
Et exercebar in justificationibus tuis
Gloria patri et filio et spiritui sancto
Sicut erat in principio et nunc et semper et in secula seculorum amen
Deduc me domine in semitam mandatorum tuorum.
Je riposterai à l’insulte par la parole, car je compte sur ta parole.
N’ôte pas de ma bouche la parole de vérité, car j’espère en tes jugements.
J’observerai ta loi sans relâche pour toujours et à jamais.
Je marcherai d’un pas libre, car je cherche tes préceptes.
Devant les rois, je parlerai de ton témoignage, et n’en aurai nulle honte.
Tes commandements ont fait mes délices, je les ai beaucoup aimés.
Je tends les mains vers tes commandements que j’aime, tes volontés, je les médite.
Gloire au père, au fils et au saint esprit
Comme il était au commencement, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles, amen.
Gide-moi, Seigneur, dans le chemin de tes commandements.

 

 

Josquin des Prés              Nymphes des bois          (“Epitaphe de venerable Seigneur de bonne mémoire,   Obregam, par maistre Jehan Moulinet.” 1495) 

Nymphes des bois, deesses des fontaines,
Chantres expres de toutes nations,
Changes vos voix fors claires et haultaines
En cris trenchans et lamentations,
Car Atropos tres terrible satrappe
Votre Ockeghem atrappe en sa trappe,
Vray tresorier de musiqe et chef doeuvre,
Doct elegant de corps et non point trappe,
Grant domaige est que la terre le couvre.
Acoultres vous dhabis de doeul,
Josquin, Piersson, Brumel, Comper,
Et ploures grosses larmes doeul,
Perdu aves votre bon pere.
Requiescant in pace. Amen.

Note : Johannes Ockeghem (1410 – 1497) était un compositeur franco-flamand, considéré comme le chef de file de la génération de compositeurs entre Guillaume Dufay et Josquin des Prés.

 

 

Pierre Moulu               Mater floreat florescat                                                               (motet profane)

Mater floreat florescat modulata musicorum melodia
Crescat celebris Dufay cadentia
Prosperetur preclaris
Regis busnoys baziron
Subtiles glorientur
Triumphet Alexander magnificus
Congaudeant Obreth Compere Eloy Hayne La Rue memorabiles Josquin Incomparabilis Bravium accipiat
Que la mère des musiciens, mélodie mesurée, bourgeonne et fleurisse,
Que croisse la cadence du célèbre Dufay,
Que l’excellent [Jean] Regis porte ses fruits
Et qu’éclate la gloire des subtils Busnois et Baziron
Que triomphe Alexander [Agricola] le Magnifique,
Que se réjouissent ensemble les mémorables Obrecht, Compère, Hayne, La Rue,
Et que l’incomparable Josquin reçoive le trophée !
Rutilet delphicus de longueval tanquam sol inter stellas
Lourdault prioris amenus
Nec absint decori fratres de fevin
Hilaire hilaris divitis felix
Brumel Isaac Nynos Mathurin Forestier Bruhier Facundi
Mouton cum vellere aureo date gloriam Regi et regine
In cordis et organo.
Que brille l’apollonien Longueval comme le soleil parmi les étoiles,
Et Lourdault, et l’agréable [Jean] Prioris,
Sans oublier les affables frères de Févin,
Le gai Hilaire et l’heureux [Antoine] Divitis,
Les éloquents Brumel, Isaac, Nynoy, Mathurin Forestier, Bruhier, et Mouton à la toison d’or : Rendez gloire au Roi et à la Reine au son des cordes et de l’orgue.

 

Note : probablement composé à l’occasion d’un mariage royal (celui de François Ier), pour l’entrée triomphale de la reine Claude à Paris, le 12 Mai 1517. La première strophe célèbre les musiciens de la génération passée, la deuxième celle des contemporains, dont six font partie de la Chapelle royale (Longueval, Lourdault = Jean Braconnier, Prioris, Antoine de Févin, Antonus Divitis = Antoine le Riche, and Mouton, maître de chapelle en 1517).

 

Pierre Moulu               Fiere atropos              (Epitaphe sur la mort de la reine Anne de Bretagne le 9 janvier 1514, à l’âge de 37 ans)

Fiere atropos mauldicte et inhumaine
Grant ennemye de toute vie humaine
Tu nous as mis en grant perplecité
Quant per enuye as en tes pletz cité
Nostre maistresse et dame souveraine.
Anxiatus est in me spiritus meus,
In me turbatum est cor meum.
Fière Atropos, maudite et inhumaine,
Grande ennemie de toute vie humaine
Tu nous as mis en grand perplexité
Quand par ennui tu as jeté ton sort
sur notre Maîtresse et Dame souveraine.
En moi mon esprit est dans l’angoisse,
Mon cœur en moi est troublé.
Que te nuysoit en ce siècle et demaine
La noble dame dont France grant deul maine
comme privé de sa felicité, fiere atropos.
Que te nuisait qu’en ce siècle et demain
La dame noble dont la France grand deuil mène
Comme privée de sa félicité, fière Atropos.

Note : Parmi les trois Parques, Atropos est celle dont l’office est de couper le fil de la vie humaine.

 

Jean Mouton       Domine salvum fac Regem        (Antienne pour le couronnement des rois de France)

 

Domine salvum fac Regem
Et exaudi nos in die qua invocaverimus te
celestem dans ei rorem
Domine salvum fac Regem
Tuum catholicum gregem
Salva defende protege
Domine salvum fac Regem
Seigneur, sauve le Roi
Et entends-nous au jour où nous t’invoquons,
lui donnant la rosée céleste.
Seigneur, sauve le Roi !
Ton troupeau catholique
Sauve-le, défends-le et protège-le.
Ô Seigneur, sauve le Roi !

 

Jean Mouton          Exalta regina galliæ                            (motet pour la victoire de Marignan)

Exalta regina galliæ, jubila mater Ambasiæ,
nam Franciscus tuus inclitus,
Clara victor ducit fugat encænia
Frangit hostes et fugat agmina,
Nulla Regem turbant discrimina, et fulgens candore niveo primus cuncta subit pericula.
Exalte la Reine de France ! Et toi, Mère d’Amboise, jubile !
Car ton glorieux François mène en vainqueur le cortège triomphal,
Brise l’ennemi et met en fuite les troupes ;
Aucun revers ne perturbe le Roi, et brillant d’une blancheur de neige, il affronte en premier tous les dangers.

 Note : Il s’agit de la mère de François Ier, Louise de Savoie : le château d’Amboise fut un temps sa résidence et le lieu d’éducation de ses enfants.

 

Le dernier texte, Exalta regina galliæ, est un éloge de la victoire de François Ier à la bataille de Marignan, éloge elliptique car les Médicis se trouvaient lors de cette bataille dans le camp des ennemis du Roi François. La fête organisée par François Ier pour le mariage de Lorenzo di Medici et Madeleine de la Tour d’Auvergne évita, fort diplomatiquement, de faire une allusion directe à Marignan et évoqua une victoire « in abstracto » du subjugateur des Helvètes.

 Pierre Iselin (Professeur, Université de Paris IV)