Champier, Symphorien, La vie de Bayard, Denis Crouzet (éd.), Imprimerie Nationale Éditions, 1992, 291 p.

 

vp. 115

Aultre epistre à Monseigneur Merlin de Sainct Gelays aulmosnier de monseigneur le Dauphin. Symphorien Champier

 

Le tesmoignaige du passé, la lumière de vérité, le messagier des antiquités, la vie de memoyre, que maintenant on appelle histoyre, les anciens on preferés devant tous aultres gerres d’escripture, et on dit estre utile et très necessayre aulx hommes, pource qu’elle nous demonstre comme debvons vivre, ce que debvons enuyvre et pareillement fouyr, et comme noz operations par bons moyens se doubvent diriger en vertu ; tout ce, nous montre histoire appertement et par exemple. Car tout demeureroyt en tenebres si la lumiere des histoyres n’estoit et ne demonstroyt les choses passées. Et comme disent les anciens, il n’est pas plus d’honneur aulx victorieulx que  aulx scripteurs et historyens des victoyres, et n’est pas moyns à louer homere descripvant les gestes troyennes que Hectore ou Achilles qui d’icelles ont est la gloyre. Si histoyre n’eust esté trouvé, les hommes ne parleroyent que des choses de leur temps seulement.

A toy doncques, chier amy Merlin, ay voulu ceste histoyre envoyer pour ce que elle est d’ung preux en tous les autres qui on esté au pays de monseigneur le Daulphin, au service duquel tu es ordinayrement et des plus familiers. Et d’autant que monseigneur le Daulphin est filz du premier filz de l’esglise, aisné, n’est de merveilles si en son pays du Daulphiné est né ung des plus chevalereulx qui aye esté de son temps. Car ainsi que le Daulphin est le plus noble poyson, et beau, et bening, et de doulce nature, que soyt en la mer, ainsi monseigneur le daulphin est entre tous jeunes princes très noble, beau, ening et de nature

vp. 116

courtoyse. Et veu qu’il est ainsy d’aultant que son pere a vouu prendre l’ordre de Chevalerie par les mains du feu noble Bayard, à plus forte raison voudra mondit seigneur prandre recreation aulx gestes et histoyres du preux Bayard, lequel a prins naissance au pays don il est souverain seigneur et du quel il porte le tiltre.

Et tu scés assés comme les gestes en ceste histoyre contenues, peuvent donner exemples à tous jeusnes chevaliers qui veulent armes pourter. Lucius luculus, lequel escript en grec les batailles de Marsus, par la seule congnoissance des histoyres devint très saige et prudent et hardy capitaine sur tous les aultres de son temps. La congnoissance des histoyres non seulement deleicte l’entendement de l’homme, mais aussy est utile à tous humains pour la congnoissance des choses passées par laquelle plusieurs foys les jeunes sont réputés plus saiges que aulcun anciens, et ce est par la seulle lecture des histoyres. Si, en ceste histoyre, je recite aulcunes infortunes que les françoys ont eues de nostre temps, pour ce n’en doibs estre reprins. Car ung vray historien doibt escripre aussi tost les informtunes et adversités comme les prosperités. Et n’est pas moins à louer Titus livius romain de ce qu’il a escript comme Romme fust prinse et brulée par ceulx de gaule dicte maintenant France, que quand il descript le triumphe de Paulus Emilius, lequel il eust des macédoniens, ou quant il descript les victoyres de Scipion aphricain. La nature des historiens est d’escripre prosperités et adversités ensemble. Xenophon, très grand philosophe, quant il descript la destruction de Athenes et la famine d’icelle cité, triste et doulent et avec larmes descript ; mais non obstant, pour ce que il estimoyt estre utile à la postérité, ne delaissat à ce fayre.

Doncques mon amy Merlin, je te prie, vueille excuser les faultes de ce petit libre (si aulcunes en y a), et si ne sont escriptes en vraye rethoricque françoyse comme les epistre de Ovide translateur de latin en notre langue gallicaine par feu ton oncle evesque de Angolesme. Je te ay bien voulu cette epistre envoyer, pour te donner à congnoistre que, à celle foys que tu fustz en ma maison à Lyon avec plusieurs aultres docteurs et litterés, entre

vp. 117

tous aultres me pleust ton eloquence et adorne langaige. Vueilles doncques recongnoistre l’amour de moy envers toy et faictz que elle soyt reciproque, et soye juge de noz labeurs. Et à tant prie celluy que la terre par sa providence colloquast au centre du monde, qu’il luy plaise donner vie longue à monseigneur le Daulphin Françoys, duquel es serviteur ordinayre, e, à messeigneurs ses freres et à toy ensemble, vie en longueur Nestorienne et Davidtique en meurs et devotion.