Pour comprendre le sens de la bataille de Marignan, il faut pour commencer la resituer dans le contexte des guerres d’Italie.

En 1454, la Paix de Lodi conclue entre Venise et Milan avait établi un équilibre dans le nord de la péninsule italienne confirmant la main mise des Sforza sur le Milanais et la fixation de la frontière des États de Venise sur la rivière Adda ainsi que les limites de la République de Gênes et de Florence, des marquisats de Mantoue et du Montferrat, et des duchés de Ferrare et de Modène. Cet équilibre territorial vole en éclat sous le pontificat du Gênois Innocent VIII. Ce dernier s’en prend en 1486 à Ferdinand Ier de Naples (aussi dénommé Ferrante d’Aragon) qui refusait de payer ses impôts dus à la papauté et lance une campagne en prenant appui sur des barons napolitains révoltés et sur Charles VIII, le Roi de France. Ce dernier souhaitait faire valoir ses droits comme sur le trône de Naples en tant que descendant de Marie d’Anjou, sa grand-mère. Innocent VIII consolide encore son alliance en se rapprochant de Venise et de Gênes. Ferrante, de son côté, fait appel à Laurent le Magnifique et à Ludovic le More pour contrer ses ennemis et se débarrasser des barons rebelles. Une paix est signée en 1486. Quand Laurent le Magnifique s’en prend néanmoins au territoire de Gênes, Milan réplique en appuyant la République Génoise et en nouant une alliance avec Naples.

En 1489, Innocent VIII reprend les hostilités contre Naples, cette fois il a l’appui de Milan et Ferrare qui espèrent affaiblir le royaume de Naples en faisant intervenir Charles VIII, qui brandit toujours l’argument de l’héritage angevin. Ce coup de poker est toutefois risqué car l’armée française est parvenue à un haut niveau technique à la sortie de la guerre de Cent Ans. Laurent le magnifique, le maître de Florence, le comprend et parvient à convaincre le Pape de renoncer à ses velléités guerrières.

En 1492, la mort d’Innocent VIII et celle de Laurent le Magnifique font tout basculer. Rodrigue Borgia, un Espagnol, coiffe la tiare pontificale sous le nom d’Alexandre VI et continue de rapprocher sa politique de celle de Naples. Ses ennemis, les Della Rovere, s’allient quant à eux aux Français et à Ludovic Sforza, qui usurpe le pouvoir à Milan en tenant en résidence surveillée son jeune neveu, héritier légitime du duché et époux de la fille de Ferrante d’Aragon.

 

Ludovic Sforza d’après Ambrogio di Predis

Ludovic Sforza d’après Ambrogio di Predis

 

 

Lorsqu’en 1494, Ludovic tente s’assujettir Gênes, Ferrante envoie ses galères et menace l’usurpateur. Le More fait alors appel à Charles VIII qui, avec deux armées françaises fortes de 40 000 hommes, passe les Alpes à la fin de l’été. La rencontre avec les troupes napolitaines se fait non loin de Gênes, à Rapallo et la victoire est aux Français.

 

Charles VIII, école française, musée Condé de Chantilly.

Charles VIII, école française, musée Condé de Chantilly.

 

 

Ce que Ludovic le More n’avait pas anticipé, c’est la vitesse avec laquelle les armées de Charles VIII progressent et s’emparent des villes italiennes l’une après l’autre, la doctrine d’emploi de l’artillerie française faisant merveille contre les fortifications médiévales. Les façons de faire la guerre de Charles VIII, qui pratique une politique de terreur sur les civils, choquent les Italiens[1]. La « furie française » est telle que bientôt, les troupes sont à Florence qui les laisse entrer, puis à Rome. Naples est prise dans la foulée et l’héritier de Ferrante, Ferdinand II d’Aragon, est obligé de s’enfuir à Venise pendant que les envahisseurs pillent sa capitale.

 

Le Castel Nuovo à Naples, château des Angevins

Le Castel Nuovo à Naples, château des Angevins

 

Les États Italiens prennent conscience du danger et il est alors facile au prince en exil de convaincre des alliés de former une Sainte Ligue où se retrouvent entre autres les Vénitiens, les États du Papes, le marquisat de Mantoue, le Duché de Milan, l’Empire de Maximilien et l’Angleterre d’Henry VII. Une armée est formée conduite par Federico II Gonzaga de Mantoue. Charles VIII comprend qu’il est temps de rentrer en France. En juillet 1495, sur la route du retour, entre Parme et Gênes, à Fornoue, les troupes de la Sainte Ligue surprennent néanmoins l’armée française sur le Tage et sont presque sur le point de capturer Charles VIII. À la suite d’âpres combats, les Français s’échappent. Les Italiens considèrent à juste titre l’épisode comme une victoire et Federico Gonzague fait peindre à Mantegna en commémoration de l’événement une Madona alla Vittoria.

 

La bataille de Fornoue représentée dans la galerie des cartes géographiques au Vatican.

La bataille de Fornoue représentée dans la galerie des cartes géographiques au Vatican.

 

[1] Jean-Louis Fournelet Jean-Claude Zancarini, Les guerres d’Italie. Des batailles pour l’Europe (1494-1559), Découvertes Gallimard, 2003. Voir également Jean Louis Fournel, « La « brutalisation » de la guerre. Des guerres d’Italie aux guerres de Religion », dans Astérion, année 2004, numéro 2.

Sources :
Pascal Brioist, Professeur des Universités et membre du CESR