La tactique des Suisses consiste à s’emparer le plus rapidement possible de l’artillerie française qui trace dans leurs rangs des tranchées sanglantes mais ils n’ont pas atteint encore la ligne des lansquenets qu’ils sont chargés par l’escadron de cavalerie de Florange, incapable de se mettre à l’abri en raison des canaux difficiles à passer. Florange et ses hommes payent le prix fort mais l’avancée helvétique est stoppée et l’avant garde française ressert ses rangs avant que l’artillerie ne soit totalement capturée (7 canons sont tout de même pris d’après Paul Jove).

 

Bataille de Marignan, François Ier à la tête de la cavalerie française et emploi tactique de la pique et de la hallebarde par les Suisses contre la cavalerie française armée de la lance (Bas-relief du tombeau de François Ier, Abbaye de St-Denis, France.).

Bataille de Marignan, François Ier à la tête de la cavalerie française et emploi tactique de la pique et de la hallebarde par les Suisses contre la cavalerie française armée de la lance (Bas-relief du tombeau de François Ier, Abbaye de St-Denis, France).

 

Les charges de cavalerie qui alternent avec des volées de coups de canon donnent le temps à la seconde ligne, celle, du Roi de France de rejoindre Bourbon. En effet, chaque fois que les gendarmes attaquent la lance au poing, les piquiers doivent stopper leur avancée et se mettre en position de défense dite du « hérisson ». François Ier, par ailleurs, avait vite été prêt car il était justement en train d’essayer une armure avec le capitaine Sanseverino, son Grand Ecuyer, quand la nouvelle de l’offensive lui était parvenue. Il avait même eu le temps, raconte Florange dans ses Mémoires, de se faire adouber chevalier par le preux Bayard[1].

Le choc eut lieu entre le bataillon royal et le principal bataillon suisse (les vieux cantons) d’un côté et les lansquenets de la bande noire et le second bataillon suisse. Les mercenaires allemands tiennent bon et les gendarmes (la cavalerie) du roi, aux chevaux caparaçonnés, multiplient les charges à la lance. Dans une lettre à Louise de Savoie, sa mère, François se vante d’avoir conduit 25 charges et déclare que plus jamais on ne pourra dire des chevaliers que ce sont des « lièvres en armure ». Entre chaque charge, les canons de France percent de grandes trouées dans les colonnes de leurs adversaires. Pendant qu’ils rechargent, arbalétriers et arquebusiers, par rangées de 10, délivrent un feu roulant organisé par Pedro Navarro sur la base de la technique nouvelle de la « caracole » où ceux qui ont tiré viennent  se placer à l’arrière de la formation pour recharger.

Le combat n’en reste pas moins incertain et confus, Bayard, par exemple, se retrouvant même à un moment derrière les lignes suisses, sont cheval tué sous lui, et doit rentrer en rampant dans les fossés. Le combat qui a commencé vers 14 heures dure encore trois heures après que le soir soit tombé. L’endurance des combattants est remarquable quand on pense au poids des piques des hallebardes ou encore des épées à deux mains maniées des heures durant par les fantassins ou bien aux problèmes respiratoires que pose l’exercice des armes confiné dans une armure de plates.

La nuit venue, les Suisses sont en train de regagner du terrain sur leurs ennemis mais chacun des belligérants n’aspire plus qu’à restaurer ses forces. Les hommes de Schiner ont la maladresse de faire des feux pour faire cuire les provisions que leur a envoyé le Duc de Milan et sans doute pour voir autour d’eux, erreur tragique car ils deviennent alors la cible trop évidente de l’artillerie de Galiot de Genouillac qui les pilonne sans pitié. Les feux sont donc éteints et les troupes se rassemblent simplement au son des trompettes où des cornes de montagne. L’on dit que François Ier dort alors, épuisé, sur l’affût d’un canon. Au petit jour, grâce à ce répit, les troupes sont de nouveau en ordre de bataille formant du côté français un front avec à la gauche du Roi l’avant garde de Bourbon et à sa droite l’arrière garde d’Alençon. L’artillerie s’est regroupée sur une nouvelle position mieux protégée par les pionniers de Pedro Navarro qui ont construit des palissades et creusé des fossés.

En face, les Suisses se sont rangés en deux colonnes : la principale, à la bannière de Zurich se lance à l’assaut du Roi François et de ses hommes, la seconde s’en prend à Alençon. Toutefois, les canons font dans leurs rangs d’énormes dégâts avant même que les piquiers puissent être au contact des lansquenets. Ils sont par ailleurs chargés par la cavalerie de Bourbon et Trivulzio, sur leur flanc droit. Les tentatives de capturer l’artillerie française sont cette fois sans espoir. Cependant, les Zurichois rencontrent quelques succès contre les lansquenets d’abord qu’ils écrasent dans une Pousse des piques puis contre Alençon  dont le bataillon commence à se débander et n’est sauver que par la charge de la cavalerie de d’Aubigny.  Les Suisses tentent apparemment au centre de perturber la position défensive par l’emploi de leur propre artillerie, sans guère d’effets compte tenu du peu de pièces à leur disposition. La cavalerie lourde française ne peut malgré tout pas grand chose contre eux, en raison des trop nombreux canaux. L’espoir d’une écrasante victoire française s’éloigne.

Vers 9 heures du matin, cependant les Suisses prennent conscience du fait qu’ils ne peuvent surmonter leur infériorité numérique de départ, leurs charges étant bloquées par le succès de la combinaison de l’action de la cavalerie et de la dévastatrice artillerie ennemie. C’est précisément à ce moment qu’ils entendent sonner dans leur dos les trompettes de la cavalerie vénitienne de Bartolomeo d’Alviano. Ce dernier arrive à la rescousse de François Ier depuis Lodi, avec ses chevau-légers albanais, très mobiles. Dès ce moment, les confédérés ne peuvent plus négocier qu’une retraite en bon ordre. Celle-ci sauve néanmoins bien des vies et permet que l’on ramasse même les morts, tout en se couvrant des Vénitiens par des lignes de piquiers. François Ier, évaluant la fatigue de ses hommes et de ses chevaux renonce à  poursuivre les vaincus, et ceux-ci, fourbus, rejoignent Milan tant bien que mal mais sans avoir perdu leur honneur car, habilement, le Roi de France renonce à les humilier.

La leçon tactique de Marignan est le succès des armes combinées (artillerie, cavalerie, infanterie) dans une bataille où l’ennemi est essentiellement composé d’unités de fantassins.

Pour les Français c’est une victoire mais le rôle des Vénitiens a été décisif. Le nombre de morts laissés sur le terrain est par ailleurs affligeant : 9000 Confédérés, 8000 Français et des milliers de blessés et d’estropiés des deux camps. 17000 morts en 16 heures, c’est un niveau de violence sensiblement égal à celui d’une offensive sur la Somme en 1916.

L’histoire (et une lecture téléologique des événements) veut que cette défaite suisse ait convaincu les Cantons Helvètes à ne plus s’engager dans les conflits internationaux et que la neutralité Suisse aie pris naissance à Marignan.

 

Retraite des suisses à Marignan, Ferdinand_Hodler

Retraite des suisses à Marignan, ( Ferdinand Hodler : Studie zum dritten Karton des Wandbilts ‘Rückzug von Marignano’)

 

[1] Cf. Florange, Mémoires, p.193-194.

Sources :
Pascal Brioist, Professeur des Universités et membre du CESR