Comment le Duc d’Urbin, neveu du Pape, vint en France reconforter la paix entre le Pape et le Roy; & comment il espousa une des filles de Boulonge, & après tint le Daulphin.

 

151 […] Le Roy estant à Amboise avecq la Royne & Madame sa mère, la Royne accoucha d’un beau fils, dequoi feust merveilleusement joyeux; car il n’en avoit point encore. & incontinent despecha Monsieur de Saincte, mesme Gentilhomme de sa Chambre pour aller devers le Pape le prier d’estre son Compère, & aussi pour lui donner à congnoitre & confirmer la paix & l’amitié qu’ils avoient ensemble, & ledict Saincte mesme arrivé à Rome, jamais on ne fist plus grande chère à homme qu’on lui fist, & feust très aise le Pape des nouvelles que le Roy luy envoya, & du bon tour qu’il luy faisoit de le convoyer pour son compère, & envoya en son lieu tenir ledict Daulphin, le Duc d’Urbin son nepveu, accompaigné des Ambassadeurs de Florence, & avoit ledict Duc d’Urbin bien fort la grosse verolle, & de fresche mémoire, & falloit qu’il vint en poste, ce qu’il faisoit à grand peine, & vint à Amboise, où tous les Princes de France allèrent au devant, & lui fist le Roy merveilleusement bon recueil & bonne chère, & avoit le Roy envoyé quérir Monsieur de Lorraine pour son aultre Compere, & Madame de Bourbon pour sa Commère. Le baptesme feust faict au plus grand triomphe qui feust possible, & comme en tel cas appartient; car sans les Princes de France, il y avoit beaucoup de Princes estrangers & ambassadeurs, & estoit toute la Cour d’Amboise tendue, tout le dessus, qu’il n’y pouvoit pleuvoir, & estoient les deux costés & le dessus tout tendus, & feust là-dessus faict le banquet, qui feust merveilleusement triomphant, & feust dancé & ballé le possible, & trois jours après feurent faict les noces dudict Duc d’Urbin à la plus jeune fille de Boulongne, qui estoit très belle Dame et jeune, car Monsieur d’Albanie avoit espousé l’aisnée; & quand ladicte Dame espousa ledict Duc d’Urbin, elle ne l’espousa pas seul, car elle espousa la grosse verolle quant & quant; & à ce propre jour le Roy le fist Chevalier de son ordre. Et entre aultres Dames il y avoit soixante & douze Damoiselles déguisées, toutes par douzaine, accoustrées de toutes sortes, l’une à l’Italienne, l’autre à l’Allemande, & toutes en suivant d’autres sortes pour mieux dancer, & avoient les Tambourins & les Musiciens de mesme, & estoient au banquet la mariée, & tous les princes assis à la table du Roy, tant de France que les estrangers, & tous les Ambassadeurs chacun selon leur ordre, & la Royne & Madame sa mère estoient de l’altre bout assis, & faisoit merveilleusement beau veoir tout cela, car on portoit tous les mets avec les trompettes; & quand le souper feust faict, feurent les dansces & carolles jusques à une heure après minuit, & y faisoit aussi clair qu’en plain jour, les flambeaux & torches qui y estoient, & dura le festin jusqu’à deux heures après minuit; alors on mena coucher la mariée, qui estoit trop plus belle que le marié, & le lendemain se fisrent les joustes les plus belles qui feurent oncques faictes en France, ni en la Chrestienté; & feust huict jours de long le combat dedans les lices & hors des lices, & à pied à la barrière; là où à tous ces combats estoit le Duc d’Urbin, nouveau marié, qui faisoit le mieux qu’il pouvoit devant sa mie; & y feust faict entre aultres choses une façon de Tournois, après ceulx-là que je ne vis en ma vie qu’en ce lieu; car le Roi fist faire une ville contrefaicte de bois, environnée de fossés tout en plain champ assez grande, & y avoit faict mener quatre grosses pièces d’artillerie, canons & double canons, & tiroient à colée par dessus ladicte ville, comme si on y eust voulu faire batterie, & estoit Monsieur d’Alençon avecq cent hommes d’armes à cheval, sa lance sur la cuisse, dedans ladicte ville, & l’Adventureux [personnage principal du roman de La Marck] avecq quatre cent hommes d’armes à pied, bien armés, dont estoient les cent Suisses de la Garde; or alloit ledict Advantureux au secours, feignant de secourir la ville où estoit Monsieur d’Alençon, & la tenoit assiégée monsieur de Bourbon avecq cent hommes d’armes à cheval, & Monsieur de Vendosme avecq cent hommes d’armes à pied, comme si l’Advantureux l’alloit secourir; & comme cela se faisoit, le Roi, armé de toutes pièces, se vint jetter avecq l’Advantureux dans la ville; à la poincte de l’artillerie qu’ils avoient dedans la ville, estoient de gros canons faicts de bois, & cerclés de fer, qui tiroient avecq de la poudre, & les boullets, qui estoient grosses balles pleines de vent, & aussi grosses que le cul d’ung tonneau, qui frappoient au travers de ceulx qui tenoient le siège, & les ruoient par terre sans leur faire aucun mal, & estoit chose fort plaisante à veoir des bonds qu’elles faisoient. Or tous ces passe-temps là faicts, Monsieur d’Alençon avecq tous les Gensd’armes à cheval, faillit hors de la ville, & le Roy & l’Advantureux avecq tous ses gens de pied avecq lui, & trois grosses pièces d’artillerie, commencèrent à tirer comme en champ de bataille; d’aultre costé contre Monsieur d’Alençon vint Monsieur de Bourbon avecq cent hommes d’armes fort bien en ordre, & Mr. De Vendosme avecq les gens de pied, contre le Roi & l’Advantureux, & donnèrent dedans tant de gens de cheval que de pied, tout à un coup, & feust le plus beau combat qu’on ait oncques veu, & le plus approchant du naturel de la guerre; mais le passe-temps ne plut pas à tous, car il y en eust beaucoup de tués & affolés; cela faict, on se départit, qui feust chose malaisée à faire, et eust été bien pire, si chevaulx & gens n’eussent esté hors d’haleine; car tant que haleine leur dura, ils combattirent; après les tournois faicts, qui durèrent un mois ou six sepmaines, le Roi despescha le Duc d’Urbin pour retourner en Italie, & sa femme avecq lui, & les conduisit le Duc d’Albanie, que le Roi envoya Ambassadeur devers le pape, lequel y servit merveilleusement bien pour les affaires du Roy, & y print amitié si grande, que depuis elle a duré entre le Roi & la maison de Medicis […].